Issu de Bulletin Joly Sociétés – n°12 – page 29
Date de parution : 01/12/2020
Id : BJS121m3
Réf : BJS déc. 2020, n° 121m3, p. 29
Auteur :
• Nicolas Pelletier, maître de conférences à l’université de Nantes, membre de l’IRDP
Dès lors que l’apport en société a pour objet le transfert par un associé d’un bien à une société en contrepartie duquel il reçoit, non pas un prix, mais des droits sociaux, il ne peut être regardé stricto sensu comme une cession, sauf si les statuts, pour la mise en œuvre d’un droit de préemption, l’assimilent à une cession.
CA Montpellier, 16 juill. 2020, no 17/04773
Extrait :
Faits et procédure
La SAS Compagnie Immobilière 2F (la société CI2F) a pour objet la construction de maisons individuelles, toutes opérations de marchand de biens, l’intermédiation et la transaction de tout bien immobilier, la gestion locative et la gérance de biens immobiliers, toute étude en matière d’estimations financières de droits et biens immobiliers, la création d’événements, la décoration et aménagement d’intérieurs, la mise en place de show-rooms et maisons d’exposition.
Le capital social a été fixé à 290 000 euros divisé en 1000 actions de 290 euros chacune, réparti, en dernier lieu, comme suit :
– la SAS Thiemma II, ayant pour président Henri Claude V. 704 actions, – M. Z, 133 actions, – K. B., 12 actions, – H. B. G., 31 actions, – C. F., 21 actions, – P. Q., 27 actions, – N. I., 15 actions, – AB. R., 15 actions, – L. D., 17 actions, – AA. B., 12 actions, – U. J., 13 actions.
Le 28 juillet 2016, les actionnaires de la société CI2F ont été convoqués à une assemblée générale du 22 août 2016 avec, comme ordre du jour, l’agrément de l’apport par la société Thiemma II, Mme J., MM. T. G., I., R., et O. de 158 actions de la société qu’ils détiennent à une SAS MVMC holding en cours de constitution et l’agrément de ladite société en qualité de nouvel actionnaire.
Par lettres recommandées du 1er août 2016, les actionnaires de la société CI2F ont été, par ailleurs, informés de la mise en vente par la société Thiemma II de 563 actions pour 1 689 000 euros, par M. T. G. de 25 actions pour 75 000 euros, par M. I. de 12 actions pour 36 000 euros, par M. R. de 12 actions pour 36 000 euros, par M. O. de 10 actions pour 30 000 euros et par Mme J. de 10 actions pour 30 000 euros ; y étaient joints les courriers des candidats cédants, proposant comme cessionnaire potentiel la société MVMC holding en cours de formation ; il leur était rappelé les dispositions de l’article 12 des statuts sur le droit de préemption bénéficiant aux actionnaires, qu’ils étaient ainsi invités à exercer ou pas dans un délai de 15 jours.
Par courrier du 11 août 2016, Mme S. A. et MM. Z., Q., F. et D. ont, par l’intermédiaire de leur conseil, fait connaître au président de la société CI2F que l’apport à la société MVMC de 158 actions ne respectait pas, selon eux, les dispositions des articles 12 et 13 des statuts, cet apport devant être assimilé à une cession d’actions, et que, s’agissant de la cession envisagée des 632 actions, ils n’avaient pas été mis en mesure d’exercer de manière suffisamment éclairée leur droit de préemption ; une réponse a été apportée à ce courrier par le conseil de la société CI2F, le 12 août 2016.
Les actionnaires de la société CI2F ont, lors de l’assemblée générale du 22 août 2016, décidé, à la majorité des voix, d’autoriser l’apport des 158 actions de la société effectuée par la société Thiemma II, Mme J., MM. T. G., I., R., et O. à la société MVMC en cours de constitution et d’agréer cette société en tant qu’actionnaire conformément aux dispositions de l’article 13 des statuts.
Une seconde assemblée générale des actionnaires, réunie le 12 septembre 2016, a décidé, à la majorité des voix, d’autoriser les cessions des 632 actions par la société Thiemma II, Mme J., MM. T. G, I., R., et O. à la société MVMC et d’agréer celle-ci comme nouvel actionnaire.
Aux termes d’une assemblée générale du 29 septembre 2016, la société MVMC a été autorisée à consentir un nantissement des 632 actions de la société CI2F, qu’elle venait d’acquérir, au profit du Crédit Agricole.
Enfin, une assemblée générale des actionnaires de la société CI2F, s’étant tenue le 21 décembre 2016, a notamment décidé de ne pas distribuer de dividendes au titre de l’exercice 2015-2016, d’autoriser la signature d’une convention de gestion de trésorerie entre la société CI2F et la société MVMC et d’autoriser également la signature d’une convention aux termes de laquelle la société CI2F externalisait à la société MVMC un certain nombre de tâches techniques, financières, administratives et juridiques. (…)
Le tribunal, par jugement du 28 juillet 2017, a rejeté l’ensemble des prétentions des demandeurs, (…)
Ces derniers ont régulièrement relevé appel, le 30 août 2017, de ce jugement, (…)
Motifs de la décision (…)
2. L’apport de 158 actions de la société CI2F à la société MVMC holding et l’annulation de l’assemblée générale du 22 août 2016 ayant autorisé l’apport et agréé la société MVMC comme nouvel actionnaire :
(….) L’article 12 des statuts de la société CI2F institue un droit de préemption des associés relativement à la cession des actions de la société à un tiers ou au profit d’associés, selon une procédure déterminée qui impose à l’associé cédant de notifier son projet au président par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en indiquant les informations sur le cessionnaire, le nombre d’actions dont la cession est envisagée, le prix et les conditions de la cession projetée et au président, dans un délai de huit jours de ladite notification, de notifier ce projet aux autres associés, individuellement, par lettre recommandée avec accusé de réception, lesquels disposent alors d’un délai de 15 jours pour se porter acquéreur des actions à céder, dans la proportion de leur participation au capital ; l’article 13 de ces mêmes statuts dispose que la cession de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital à un tiers ou au profit d’un associé est soumise à l’agrément préalable de la collectivité des associés, les dispositions de ce texte étant applicables à toutes les cessions, que lesdites cessions interviennent en cas de dévolution successorale ou de liquidation d’une communauté de biens entre époux, par voie d’apport, de fusion, de partage consécutif à la liquidation d’une société associée, de transmission universelle de patrimoine d’une société ou par voie d’adjudication publique en vertu d’une décision de justice ou autrement.
Après avoir rappelé que le droit de préemption prévu à l’article 12 des statuts et l’agrément instauré à l’article 13 procédaient de droits différents, le premier constituant un droit individuel permettant à chaque actionnaire de préempter les actions proposées à la cession, le second créant un droit collectif permettant à l’assemblée des actionnaires de contrôler l’entrée de nouveaux actionnaires, le premier juge a justement considéré que l’apport d’actions, autorisé lors de l’assemblée générale du 22 août 2016, n’était pas soumis au droit de préemption des actionnaires, seulement réservé à la cession des actions de la société ; dès lors que l’apport a pour objet le transfert par un associé d’un bien à une société en contrepartie duquel il reçoit, non pas un prix, mais des droits sociaux, il ne peut être regardé stricto sensu comme une cession, sauf si les statuts, pour la mise en œuvre d’un droit de préemption, l’assimilent à une cession ; or, en l’occurrence, l’article 12 des statuts ne prévoit une procédure de préemption qu’en cas de cession des actions de la société à un tiers ou au profit d’associés, aucune stipulation contractuelle n’assimilant la cession d’actions à l’apport d’actions pour l’application de la procédure de préemption, contrairement à l’article 13 des statuts qui étend l’agrément à toutes sortes de « cessions », y compris celles résultant d’un apport d’actions ; admettre que l’article 12 des statuts doit s’appliquer à l’apport d’actions, reviendrait à dénaturer les stipulations claires et non équivoques de ce texte et conduirait à méconnaître les dispositions de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.
Le jugement doit ainsi être confirmé en ce qu’il a débouté Mme S. A. et MM. Z., Q., F. et D. de leur demande d’annulation de l’apport effectué des 158 actions de la société CI2F à la société MVMC holding et de l’assemblée générale du 22 août 2016.
3. La cession des 632 actions détenues par la société Thiemma II, Mme J., MM. T. G., I., R., et O. à la société MVMC holding et l’annulation de l’assemblée générale du 12 septembre 2016 ayant autorisé les cessions et agréé la société MVMC comme nouvel actionnaire :
(…) Aux termes de l’article 12 des statuts de la société CI2F : « L’associé cédant doit notifier son projet au président par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en indiquant les informations sur le cessionnaire (nom, adresse et nationalité ou, s’il s’agit d’une personne morale, dénomination, siège social, capital, numéro RCS, identité des associés et des dirigeants), le nombre d’actions dont la cession est envisagée, le prix et les conditions de la cession projetée. Dans un délai de huit jours de ladite notification, le président notifiera ce projet aux autres associés, individuellement, par lettre recommandée avec accusé de réception, qui disposeront d’un délai de 15 jours pour se porter acquéreur des actions à céder, dans la proportion de leurs participations au capital. Chaque associé exerce son droit de préemption en notifiant au président le nombre d’actions qu’il souhaite acquérir, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. À l’expiration du délai de 15 jours, le président devra faire connaître par lettre recommandée avec demande d’avis de réception les résultats de la préemption à l’associé cédant (…) ».
En l’espèce, Mme S. A. et MM. Z., Q., F. et D. ont été informés, par lettres recommandées du 1er août 2016, du projet de cession par la société Thiemma II de 563 actions de la société CI2F au prix de 1 689 000 euros, par M. T. G. de 25 actions de la société au prix de 75 000 euros, par M. I. de 12 actions au prix de 36 000 euros, par M. R. de 12 actions au prix de 36 000 euros, par M. O. de 10 actions au prix de 30 000 euros et par Mme J. de 10 actions au prix de 30 000 euros ; y étaient joints les courriers des candidats cédants, proposant comme cessionnaire la SAS MVMC holding, dont le siège social est 15, avenue des Levades 34470 Pérols, société en formation au capital de 474 000 euros, représentée par Monsieur X. V. son président.
Lors de la notification des projets de cession, la société MVMC holding était en cours de constitution, n’ayant été immatriculée au registre du commerce et des sociétés qu’à la date du 7 octobre 2016, en sorte qu’il ne peut être fait grief aux actionnaires cédants de ne pas avoir mentionné son numéro RCS ; en outre, les appelants ne peuvent sérieusement prétendre qu’ils ignoraient l’identité des actionnaires de la société MVMC, qui n’étaient autres que la société Thiemma II, Mme J., MM. T. G., I., R., et O. ayant fait apport à ladite société de 158 actions valorisées 3 000 euros l’action, soit 474 000 euros au total, qui correspond au montant du capital indiqué dans les courriers des candidats cédants ; un tel apport d’actions fait par ces actionnaires, autorisé aux termes de l’assemblée générale du 22 août 2016, était connu, antérieurement à la notification des projets de cession, de Mme S. A. et de MM. Z., Q., F. et D. qui avaient été convoqués, le 23 juillet 2016, à cette assemblée générale.
Par ailleurs, si les lettres adressées le 1er août 2016, notifiant les projets de cession, ne précisent pas les conditions des cessions notamment quant au paiement comptant ou à crédit du prix ou à l’existence de conditions suspensives ou résolutoires auxquelles les cessions auraient été subordonnées, force est de constater que par courrier du 12 août 2016, en réponse au courrier du conseil de Mme S. A. et de MM. Z., Q., F. et D. en date du 11 août 2016, la société CI2F a fait connaître à ces derniers, par l’intermédiaire de son propre conseil, que le paiement du prix des actions se ferait au comptant et sans aucune condition particulière, suspensive ou résolutoire ; il s’ensuit qu’à cette date du 12 août 2016, les intéressés n’ignoraient pas les conditions des cessions projetées et étaient donc en mesure d’exercer leur droit de préemption avant l’assemblée générale prévue pour le 12 septembre 2016, ce qu’ils n’ont pas fait ; ils ne peuvent ainsi prétendre, alors qu’ils disposaient de l’ensemble des informations nécessaires, ne pas avoir été mis en mesure de se porter acquéreurs des actions de la société CI2F mises en vente, dans le respect du délai d’exercice du droit de préemption prévu à l’article 12 des statuts.
C’est donc à juste titre que le premier juge a débouté Mme S. A. et MM. Z., Q., F. et D. de leur demande d’annulation des cessions d’actions intervenues au profit de la société MVMC holding et de l’assemblée générale du 12 septembre 2016. (…)
Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé dans toutes ses dispositions. (…)
Par ces motifs : déclare la mise en cause de la société Thiemma II, irrecevable,
Au fond, confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 28 juillet 2017, (…)
CA Montpellier, 16 juill. 2020, no 17/04773
Avec la transmission de ses parts ou actions, l’associé menace potentiellement l’équilibre du pouvoir au sein de la société qu’il quitte du fait du bouleversement des majorités ou de l’arrivée d’un tiers. Aussi, n’est-il pas rare que pour s’en prémunir les associés d’une société de capitaux prévoient dans les statuts ou dans un pacte extrastatutaire une clause d’agrément, un droit de préemption voire les deux. Derrière ces possibilités, les associés demeurant dans la société se gardent la faculté d’intervenir sur des mouvements auxquels ils seraient sinon étrangers. Tandis que la clause d’agrément leur donne la possibilité de contrôler l’accès au capital, le droit de préemption leur confère la possibilité d’acquérir par préférence les titres de l’associé sortant. Car la mise en œuvre de ces clauses s’inscrit souvent dans un contexte tendu, leur rédaction doit faire l’objet d’un soin particulier pour éviter toute ambiguïté dont un contentieux ne manquera pas de naître. Cet arrêt, rendu par la cour d’appel de Montpellier le 16 juillet 2020, en donne une illustration parfaite en même temps qu’il rappelle l’application rigoureuse que font les juridictions de ces clauses remettant en cause la libre cessibilité des titres sociaux.
En l’espèce, plusieurs actionnaires d’une société par actions simplifiée entendaient transmettre à une société holding 721 actions sur les 1 000 composant son capital. L’opération qui devait s’effectuer en deux temps s’articulait autour, dans un premier temps, de l’apport en nature de 158 actions ensuite de la cession des 563 autres. Les statuts de la SAS comportant une clause d’agrément en plus de contenir un droit de préemption, une première assemblée générale fut convoquée afin d’agréer la société holding en tant que nouvel actionnaire dans le cadre de l’apport en nature à intervenir. Avant que ne se tienne cette assemblée générale, les actionnaires minoritaires restant furent informés du projet de cession des 563 actions à la société holding et invités à éventuellement exercer leur droit de préemption. Une seconde assemblée générale fut ensuite convoquée afin d’agréer la société holding au titre de la cession. Après que la holding devint actionnaire, un contentieux se noua entre les actionnaires minoritaires restés dans la société, les actionnaires ayant transmis leur titre à la holding et cette dernière. Deux griefs principalement étaient formulés à l’encontre de ces transmissions successives. Le premier était de contester que les minoritaires aient été privés de la possibilité d’exercer leur droit de préemption au titre de l’apport en nature des 158 actions alors que ce dernier devait s’analyser en une cession entrant dans le champ du droit de préférence des actionnaires restants. Le second était de considérer que les minoritaires n’avaient pas été en mesure d’exercer correctement leur droit de préemption lors de la cession des 563 actions faute d’une information suffisante au moment de la notification de l’opération.
Aucun de ces arguments ne reçoit un accueil favorable de la part des juges du fond. Concernant l’apport en société, la cour d’appel considère que celui-ci ne s’analyse pas en une cession et n’entrait donc pas dans le champ du droit de préemption. Que la clause d’agrément procède différemment et s’applique aussi bien à la cession qu’à l’apport en société n’y change rien dans la mesure où comme le relève la cour les deux clauses n’ont pas le même objet. Concernant les conditions dans lesquelles les minoritaires avaient été mis en mesure d’exercer leur droit de préemption lors de la cession, la cour là encore ne trouve rien à redire. Si l’information donnée à l’origine n’était pas complète, la cour relève que les cessionnaires ont immédiatement répondu aux sollicitations des minoritaires et les ont mis en mesure d’exercer leur droit.
Ainsi, qu’il s’agisse de son champ (I) ou de sa mise en œuvre (II), le droit de préemption fait l’objet d’une stricte interprétation que tant le droit des sociétés que le droit des obligations recommandent.
I – Interprétation stricte du champ du droit de préemption
Le droit de préemption que confèrent les statuts de la société aux actionnaires en cas de cession d’actions à un tiers ou un autre associé doit-il également s’appliquer aux apports en nature de ces titres à une société ? À cette question, les juges du fond apportent une réponse qu’impose le caractère dérogatoire de la clause par rapport à la libre cessibilité des actions. Ne sont concernées par le droit de préférence des actionnaires que les opérations entrant expressément dans le champ de la clause de préemption. L’apport en société a beau partager avec la vente de transférer à titre onéreux des droits sociaux, les deux opérations ne sauraient s’assimiler. Dans les deux cas, la contrepartie au transfert de propriété n’est pas la même1. Tandis que la vente permet au cessionnaire de recevoir un prix, l’apporteur acquiert des parts ou actions, actifs dont on conviendra que la consistance s’avère radicalement différente de celle d’une somme d’argent. Le sort que réserve l’action paulienne à l’apport en société en atteste. Au contraire de la vente qui ne menace en rien les poursuites des créanciers, l’apport en société rend celles-ci plus difficiles et s’avère un excellent outil d’organisation de l’insolvabilité.
Revendiquant malgré tout le bénéfice d’un droit de préférence, les actionnaires demeurés dans la société mettaient en avant une autre clause des statuts subordonnant toute cession d’actions à un tiers ou un associé à l’agrément de l’assemblée générale. Cette clause, en effet, précisait s’appliquer « à toutes les cessions, que (celles-ci) interviennent en cas de dévolution successorale ou de liquidation d’une communauté de biens entre époux, par voie d’apport, de fusion, de partage consécutif à la liquidation d’une société associée, de transmission universelle de patrimoine d’une société ou par voie d’adjudication publique en vertu d’une décision de justice ou autrement ». Naturellement, les demandeurs en tiraient argument pour considérer que le champ du droit de préemption devait s’apprécier par comparaison avec celui de l’agrément. Dit autrement, les actionnaires restés dans la société tiraient argument de cette définition large de la cession pour considérer que les fondateurs avaient voulu en retenir dans les statuts une approche particulière déconnectée du droit commun. Ambigus, les statuts se devaient donc d’être soumis à l’interprétation du juge afin de déceler l’intention commune des parties.
En l’absence de clause de définition valant pour l’ensemble des statuts, la question se posait de savoir si la définition de la cession donnée pour l’agrément pouvait être étendue au-delà, en particulier au droit de préemption. L’admettre impliquait de considérer qu’à défaut de raisonner par analogie une contradiction existait au sein des statuts. Ainsi qu’en dispose l’article 1189 du Code civil, une clause ambigüe doit s’apprécier au regard de l’ensemble que constitue le contrat. Dans cette idée, les juges du fond devaient donc s’interroger sur la possibilité qu’en toute cohérence, l’agrément et le droit de préemption puissent couvrir un champ différent. Livrant cette analyse, les juges du fond font le constat que les deux droits en question poursuivent des buts différents. Alors que le droit de préemption s’analyse en un droit individuel permettant à chaque actionnaire d’acquérir par préférence les titres d’un actionnaire sortant, la faculté d’agrément s’analyse en un droit collectif dévolu à l’assemblée des associés dans l’intérêt de la société. Ce point admis, rien ne justifiait de définir la « cession » au titre de la clause de préemption par référence à la définition donnée pour la faculté d’agrément. Au contraire, à n’avoir rien précisé comme pour la faculté d’agrément, la volonté probable des actionnaires était d’en retenir une stricte définition et d’écarter de son champ l’apport en société.
Rigoureuse dans sa définition du champ du droit de préemption, la cour d’appel l’est tout autant dans l’exercice de ce droit, voulant éviter que des associés ne tirent argument d’irrégularités formelles sans conséquences pour contester la transmission des droits sociaux.
II – Interprétation stricte des conditions de mise en œuvre du droit de préemption
Les associés restés dans la société ne contestaient pas seulement le fait de n’avoir pas pu exercer de droit de préemption à l’occasion de l’apport en société de certains titres. Ils discutaient également des conditions de sa mise en œuvre lors de la cession d’une partie des actions à la holding qu’ils étaient en train de constituer. En l’occurrence, ils faisaient grief aux cédants de n’avoir pas transmis l’ensemble des informations imposées par les statuts et ainsi de les avoir empêchés d’exercer de façon suffisamment éclairée leur droit. Au cas particulier, les informations manquantes consistaient dans le numéro RCS de la société cessionnaire, dans le nom de ses associés ainsi que dans certaines modalités de la cession, à savoir les conditions de paiement et l’existence ou non de conditions suspensives ou résolutoires.
Là encore, aucun des griefs formulés par les actionnaires restés dans la société n’est retenu par les juges du fond qui, pour trancher la difficulté, se sont référés comme pour toute exécution du contrat à l’incidence du manquement constaté sur l’exercice du droit de préférence ainsi qu’à la loyauté des associés cédants. Sur le premier point, les juges du fond relèvent que les actionnaires n’étaient pas légitimes à se plaindre de l’absence d’indication du RCS de la société cessionnaire ainsi que du nom de ses associés. S’agissant d’une société en formation, l’immatriculation au RCS n’était pas intervenue. Quant au nom de ses associés, ceux-ci étaient nécessairement connus dans la mesure où les actionnaires avaient été, au jour de la notification de la cession, convoqués à l’assemblée générale dont l’ordre du jour était l’agrément de l’apport en société. En ce qui concerne les conditions de la vente, les juges du fond estiment que l’absence d’information sur les modalités de paiement ou l’existence d’une éventuelle condition avait été immédiatement corrigée par les cédants dans la mesure où leur conseil avait répondu dès le lendemain aux demandes de précisions formulées par les actionnaires titulaires du droit de préemption et en tout état de cause à un moment qui laissait aux associés le temps nécessaire d’exercer leur droit de préemption en connaissance de cause.
Ce faisant, l’on ne peut qu’approuver les juges du fond d’avoir rejeté les prétentions des actionnaires restés dans la société. Les écarts constatés par rapport aux informations qui devaient être communiquées n’ayant pu porter à conséquence sur l’exercice du droit de préemption, rien ne justifiait de remettre en cause la cession opérée ainsi que les assemblées générales s’étant tenues depuis.
Notes de bas de page
1 –
Du point de vue du transfert de propriété, en revanche, la vente et l’apport en nature partagent d’importantes similitudes. En ce sens, l’article 1843-3, alinéa 3, du Code civil dispose que « lorsque l’apport est en propriété, l’apporteur est garant envers la société comme un vendeur envers son acheteur ».